LE COURS MAGISTRAL : MODALITÉS ET USAGES (XVIe-XXe siècles)

Dernière mise à jour 6 avril 2004

 

Le cours de chimie de Guillaume-François Rouelle

par Christine Lehman

 

Introduction

Guillaume-François Rouelle et son enseignement de chimie

Présentation du manuscrit

Sommaire et table des matières

Liste détaillée des procédés

Pour consulter le cours manuscrit de Rouelle en ligne

 

 

 

 

Est-il nécessaire de présenter Guillaume-François Rouelle, le plus illustre des démonstrateurs du Jardin du Roi ? Professeur renommé, il a formé non seulement la presque totalité des chimistes du XVIIIème siècle comme Lavoisier, Macquer, Venel, Brongniart, Bucquet, Sage .la liste en serait trop longue, mais encore les philosophes des Lumières : les Diderot, Rousseau, Turgot, Malesherbes, ainsi que les gens du monde. Selon Diderot, ses leçons attirent « le quart de la ville » et toutes les classes de la société, sans oublier « les enfants des nobles qui voulaient s'instruire ». Paradoxalement, les cours de chimie qu'il a dispensés pendant près de trente années dans son laboratoire personnel et près de vingt-six ans au Jardin du Roi n'ont jamais été publiés, ni par lui-même, comme l'ont été ceux de Nicolas Lémery, grande figure de la chimie française du XVIIème siècle, ni par ses élèves, comme ceux par exemple de Hermann Boerhaave, illustre professeur de chimie hollandais dont la renommée s'étendait à toute l'Europe.

Le manuscrit mis en ligne sur ce site et sur celui de la B.I.U.M de Paris permet donc à tous les chercheurs d'avoir accès aux notes manuscrites de ses élèves et de pouvoir ainsi travailler sur un document inédit et original.

Guillaume François Rouelle
Archives de l'Académie des sciences

 

 

 

Guillaume-François Rouelle et son enseignement de chimie

Rien ne prédisposait Guillaume-François Rouelle (1703-1770) à devenir pharmacien et à enseigner la chimie au tout-Paris des Lumières. Sa famille ne possédait pas d'officine, comme c'était le cas pour les deux frères Geoffroy ou pour Baltazar Georges Sage. Il était fils d'un fermier normand. Après des études au collège de Caen, il commence des études de médecine, mais, rebuté par la dissection, il abandonne l'espoir de devenir médecin et s'adonne à la chimie. Au XVIIIème siècle, chimie et pharmacie sont indissociables. Il décide donc d'étudier la pharmacie et, après sept années d'apprentissage chez l'apothicaire allemand Spitzley, s'établit à son propre compte place Maubert en 1738. Ses cours de chimie et de pharmacie ainsi que sa personnalité originale attirent une foule d'auditeurs. La réputation de ses cours est telle qu'elle lui procure en 1742 le poste de « démonstrateur de chimie au Jardin du Roi ». Pour des raisons de santé, il est contraint d'abandonner son enseignement en 1768 et son frère cadet Hilaire-Marin qui l'assiste dans ses démonstrations au Jardin du Roi, lui succède au poste de démonstrateur. Nommé adjoint chimiste de l'Académie royale des sciences dès 1744 pour finir pensionnaire à la fin de sa carrière, Guillaume-François Rouelle n'a pas été plus prolixe en publications comme académicien que comme professeur. Il n'a en effet écrit que cinq mémoires, concernant principalement les sels, et s'est aussi intéressé à l'inflammation des huiles et à l'embaumement des momies.

Le cas du démonstrateur Rouelle est tout à fait unique au Jardin du Roi car il a été nommé avec la fonction de «Démonstrateur de Chimie au Jardin des plantes sous le titre de Professeur en Chimie ». Il n'y aucune coordination entre son enseignement et celui du professeur en titre, Louis-Claude Bourdelin, nommé en 1743 au poste de professeur de chimie en remplacement de Nicolas Lemery. Antoine-Laurent Jussieu, qui a suivi le cours de chimie de Bourdelin en 1767, décrit ce dernier comme un personnage âgé, peu intéressé par son enseignement et partisan de l'ancienne chimie. Rouelle doit alors mener de front l'exposé théorique et les opérations chimiques. Les témoignages de ses contemporains en donnent l'image colorée d'un professeur non seulement brouillon mais aussi chaleureux, enthousiaste, volubile, qui sait communiquer à son auditoire sa passion pour la chimie...

Il y a peu de renseignements sur le lieu ou les lieux (amphithéâtre et laboratoire) d'enseignement du cours de chimie au Jardin du Roi. Ils se tiennent, jusqu'à la rénovation entreprise par Buffon en 1787, dans un amphithéâtre construit par Fagon, intendant de 1693 à 1708. L'amphithéâtre est polyvalent : l'hiver il sert aux cours d'anatomie, mais au printemps et en été, quand la température ne permet plus la conservation des cadavres, on y donne les cours de botanique et de chimie. Les notes écrites respectivement par André Thoin, le jardinier homme de confiance de Buffon, et par Antoine-Laurent de Jussieu pour servir à l'histoire du Jardin du Roi donnent cependant quelques précisions. Jussieu précise la localisation de l'amphithéâtre : « dans le bâtiment situé entre la grande porte d'entrée du Jardin et la terrasse de la grande butte. Son laboratoire était adossé à cette terrasse », et le nombre de places disponibles : « Cet amphithéâtre [...] pouvait contenir 600 élèves ». Thoin ajoute qu'il était « trop petit de moitié pour contenir les auditeurs » et signale qu'il était aussi incommode par sa situation que par sa distribution intérieure. Cet amphithéâtre de six cents places, trop petit de moitié, témoigne de l'affluence et du succès des cours de Rouelle au Jardin du Roi.

L'enseignement de la chimie du Jardin du Roi, en répondant à la fois à une demande de formation et à une demande de culture, contribue à faire de la chimie, au siècle des Lumières, une science appréciée du public et mise à l'honneur par les philosophes. Grâce aux cours du Jardin, la chimie devient une science à la mode.

 

Présentation du manuscrit

Rouelle donne ses cours de chimie alternativement au Jardin du Roi et dans son laboratoire personnel mais les manuscrits dispersés dans les différentes bibliothèques n'indiquent malheureusement pas le lieu d'enseignement. Il est donc difficile de les départager en cours privés et publics.

Le manuscrit du cours de chimie de Rouelle conservé à la B.I.U.M, Mss 5021, 5022, 5023, mis en ligne ici a pour dimensions 24 x 18,5 cm. Il est anonyme, mais sa localisation dans les archives de la Faculté de médecine de Paris tend à faire croire qu'il a été écrit par un médecin. Ceci permet de supposer que ces cahiers correspondent plus fidèlement au cours original de Rouelle que ceux rédigés par Diderot, par exemple, car ce dernier y a intégré beaucoup d'apports personnels. Le soin et l'écriture, ainsi que l'absence de symboles représentatifs des espèces chimiques utilisées, permettent d'autre part de supposer que l'élève a recopié plus tard ses notes manuscrites. Il fait par ailleurs souvent mention de l'année 1757 et rapporte les dires du professeur au passé composé : « Monsieur Rouelle a dit, a fait, a montré, etc. ». Par exemple, à propos de l'air, l'élève écrit : « Il a dit nommement cette année 1757 que l'air contenoit du feu, de l'eau et de l'acide vitriolique, il l'avoit dit les années precedentes dans le cours de ses leçons » ou, à propos de la distillation de l'huile d'olive, « Cette année 1757Mr Roüelle a fait le procédé avec des briques » 1.

 
Cours de Rouelle Ms 5021 tome I, p. 53.

Rouelle traite des trois règnes de la nature, au Jardin du Roi comme dans ses cours privés, mais son exposé s'étend sur un cycle de trois années. L'accent est mis sur l'étude des minéraux et du règne minéral, dont le sujet occupe presque quarante pour cent de la totalité des leçons. La première année, Rouelle traite des deux règnes végétal et animal, la seconde débute par une très longue introduction sur les terres et les pierres et les premiers procédés du règne minéral. La troisième année s'achève sur la fin de l'étude du règne minéral. Le cours de chimie mis en ligne ici semble refléter fidèlement les leçons de Rouelle car il possède un chapitre de cent sept pages sur « Les terres et les pierres  » souvent absent des autres manuscrits de son cours. D'autre part, la répartition du cours en trois tomes laisse entendre qu'il a été suivi au Jardin du Roi : la première année en 1757, puis les deux années suivantes.

Dans la progression de son cours, Rouelle suit rigoureusement les directives imposées par le règlement des cours de chimie au Jardin du Roi. La première leçon est consacrée à la définition de la chimie et à faire valoir son rôle autant dans l'explication des grands phénomènes physiques (volcans, éclairs, tremblements de terre.) que dans ses applications pratiques (peinture, teinture, vernis, verrerie, métallurgie, art culinaire, onologie, etc.). Le programme de l'ensemble du cours est ainsi brossé. L'exposé des principes fait l'objet de la leçon suivante et Rouelle «  admet quatre principes ou elements le phlogistique ou le feu, la terre, l'eau et l'air ; il soupçonne qu'il peut y en avoir un cinquieme c'est sans doute le principe mercuriel de Beker  ». Chacun de ces principes est étudié dans les leçons suivantes, regroupées sous l'intitulé « instruments », et traité au même titre que les instruments artificiels, menstrues et vaisseaux.

A part l'introduction et les chapitres sur les principes et les instruments dans lesquels Rouelle expose sa théorie de la chimie, le reste du cours n'est essentiellement que récits d'expériences. Les expériences sont au cour de la démonstration et pour celui qui feuillette les manuscrits, ce cours n'offre qu'une longue suite de procédés : cinquante-six pour le règne végétal, onze pour le règne animal et cent-cinquante-neuf pour le minéral. L'exposé de chaque procédé est bâti sur le même plan : mode opératoire et description de l'expérience, puis vient celle des produits obtenus et quelquefois des résidus.

 
Cours de Rouelle Ms 5021 tome I, pp. 111, 112, 113
 

Cette structure répétitive a le pouvoir de former les étudiants à une procédure d'expérimentation. Le même souci de formation à l'expérience se manifeste dans l'habitude qu'a Rouelle d'exposer sur des étagères, au fur et à mesure qu'il avance dans sa leçon, les produits obtenus lors des manipulations, avec un bref rappel écrit du mode opératoire et des résultats pour que les auditeurs disposent d'un rappel visuel permanent des expériences rencontrées. La priorité accordée à la pratique se devine encore dans le document présentant le programme de ses cours privés rue Jacob, et l'annonce de la première leçon du 17 novembre 1766 ne s'intitule pas « Cours de chymie » mais « Cours d'expériences chymiques ».

Faut-il en déduire que le cours de Rouelle est un cours de chimie pratique ? Un examen plus approfondi des « procédés » montre qu'ils ne se bornent pas à la description du mode opératoire, des produits et des résidus. Le message se trouve en fait sous la rubrique « remarques », dans laquelle Rouelle expose la théorie de l'expérience, les applications médicales et pratiques, le savoir-faire pour réussir la manipulation, etc. Ce sont ces « remarques » qui fondent la renommée du professeur Rouelle.

 

1 Ms 5021 tome I, pp. 53, 240. Les exemples se suivent, page 398 à propos du Ratafia : « Cette année 1757 Mr Roüelle nous a donné cette combinaison dans un procédé particulier », ou page 478 : « Cette année 1757 Mr Roüelle nous a montré les crystaux, ils m'ont paru semblables à ceux du règne végétal », et encore page 486 : « Cette année 1757 Mr Roüelle a dit qu'il avoit vu un peu d'alkali fixe, qu'il étoit en très petite quantité ».

 

 

 

Sommaire et table des matières

Tome 1 (5021)

Tome 2 (5023)

Tome 3 (5022)

De la chimie page 1

Des principes page 9

Des instruments page 23

Règne végétal pages 101 à 497

Des végétaux page 103

Section première: de l'analise ou de la décomposition page 111

Section seconde : de la synchrèse ou recomposition page 282

Du règne animal pages 1 à 61

Règne minéral

Généralités page 1

Des Bitumes page 34

Du Succin page 43

Des Acides minéraux. pages 1 à 300

Règne minéral (suite)

Des pierres et des terres pages 1 à 107

Des demi métaux pages 1 à 149

Des métaux pages 1 à 226

De l'Alchymie page 226 (erreur de numérotation de l'élève qui note de 126 à 140)

Liste détaillée des procédés ici