Les candidats aux trois concours pour l'agrégation de l'Université de Paris (1766-1791)
Le concours de l'agrégation, appelé à une longue postérité, naît de la conjoncture créée par l'expulsion des Jésuites qui prend effet à partir de l'année 1762 dans les ressorts des différents parlements du royaume. Une centaine de collèges, soit un petit tiers des établissements français (qu'on peut estimer à 350), mais les plus importants, se voient privés d'un coup de 600 professeurs environ. Les parlementaires, dont Rolland d'Erceville est le meilleur porte-parole, envisagent la création d'un corps enseignant séculier et national. Mais l'autonomie de fait qu'assurent à chaque collège un patrimoine et des revenus propres fait obstacle à cette aspiration, d'autant plus que la réforme instaurée par l'édit de février 1763 institue une décentralisation extrême : les bureaux d'administration, placés auprès de chaque établissement, ont tendance à recruter les professeurs dans les viviers locaux, parmi les anciens élèves de l'établissement qu'ils administrent ou parmi les clercs du diocèse (le bureau est présidé par l'évêque), les uns et les autres ayant été remarqués pour leur excellence scolaire.
Par rapport aux projets, le concours d'agrégation tel qu'il est institué par les " lettres patentes " des 3 mai et 10 août 1766 se limite finalement au recrutement des professeurs des dix collèges de l'université de Paris. Le concours comprend des épreuves écrites et orales jugées par des membres de la "faculté des arts" qui est constituée par les professeurs des collèges, y compris les émérites, et par les "bacheliers" des trois facultés supérieures (théologie, droit, médecine). Le jury est désigné chaque année par le procureur général du parlement de Paris ; par rapport au statut antérieur des professeurs parisiens, le concours d'agrégation instaure une sélection parmi les maîtres ès arts (grade qu'on obtient à la fin des études de philosophie). Il crée une catégorie de stagiaires appelés à "s'agréger" au corps des professeurs de la faculté des arts, au fur et à mesure des vacances de postes, chaque classe étant assimilée à une chaire, sur le modèle des agrégés de la faculté de droit institués par les réformes de Colbert (1679-1680). Pour remplir un poste vacant, le principal d'un des dix collèges, autrefois libre de désigner tout maître ès arts, doit désormais porter son choix sur un agrégé. Appuyée par une partie de l'Université de Paris mais suscitant une vive hostilité du côté de la faculté de théologie, à laquelle appartiennent la plupart des principaux, la réforme est appliquée sans discontinuer jusqu'à la Révolution.
Les lettres patentes organisent trois concours annuels : pour les classes de philosophie, de belles-lettres et de grammaire. Le premier concours a lieu dès octobre 1766, et d'autres suivront chaque année aux mois d'avril et de mai, jusqu'en 1791. Le concours pour l'agrégation visant à constituer une réserve de soixante stagiaires (vingt par catégorie, seuls trente postes étant ouverts au premier concours) le concours n'a pas lieu quand ce nombre est rempli. C'est ce qui se produit à plusieurs reprises pour la philosophie et pour la grammaire. En 1791, le registre du concours, qui est notre unique source pour connaître le déroulement des épreuves, s'interrompt brusquement à la date du 3 mai après l'interrogation orale du jour, et l'on ignore si les candidats de l'année (ils étaient onze) ont été ou non déclarés admis. Au cours de ces 26 ans, 289 candidats se sont présentés à ces trois concours, certains à deux reprises, exceptionnellement à trois reprises. Il y a eu 206 succès et 124 échecs.
De tous les candidats à ces concours pour l'agrégation, un seul est un homme relativement connu par ailleurs, le poète Jacques Delille (ou de l'Isle), dont la traduction de Virgile sera étudiée dans les classes de l'enseignement secondaire au XIXe siècle. D'autres ont poursuivi leur carrière de professeurs sous la Révolution (dans les écoles centrales) et même au-delà ; et une poignée d'entre eux (Champagne, Delaplace, Dumouchel, Guéroult, Noël) contribueront à l'organisation de l'Université napoléonienne. Certains agrégés ont publié des manuels, qui ont eu, avant comme après la Révolution, leur heure de célébrité (Béguin, De la philosophie ; Gail, Cours de langue grecque ; Noël et Delaplace, Leçons françaises de littérature et de morale ; Flottes, Leçons élémentaires de philosophie). Quelques-uns ont fait carrière dans les collèges de province (Genty à Orléans, Carré et Chambry à Toulouse). Mais la plupart d'entre eux n'ont pas eu l'honneur d'être recensés dans des répertoires ou des dictionnaires biographiques et seules des recherches permettent parfois de les retrouver ici ou là, dans des archives. Ce sont ces derniers qui posent des problèmes d'orthographe. Comme leurs noms n'apparaissent jamais sous une forme imprimée, il faut s'en remettre, pour leur nom et pour leurs prénoms (quand ils sont mentionnés), aux registres du concours, lesquels opposent une double difficulté : d'une part une écriture peu aisée à déchiffrer, et d'autre part des formes variables pour un même nom.
Les listes qui suivent présentent, dans l'ordre chronologique, les caractéristiques suivantes. Les concours, désignés à l'époque par les mentions " du premier ordre ", " du second ordre " et " du troisième ordre ", sont donnés suivant les exigences hiérarchiques. Les candidats, qui ne sont pas classés par les jurys dans l'ordre du mérite, apparaissent ici dans l'ordre alphabétique. Quand leur nom figure sous plusieurs formes, on a choisi celle qui aurait cours aujourd'hui. Par exemple, le nom de Delaplace a été préféré à de Laplace, ou à de (De) la (La) Place. Dans d'autres cas, il a paru préférable de signaler une deuxième forme du nom.
Le libellé des comptes rendus des épreuves, dans les registres du concours, n'est pas uniforme du début à la fin de la période. Certaines années, le secrétaire du jury a multiplié les indications sur les candidats, sur leur origine et leur bagage intellectuel. Inversement, à d'autres moments, le compte rendu du déroulement des épreuves est si succinct qu'on ignorerait même les noms de ceux qui ont été admis, si, dans les mêmes registres n'avaient pas été consignées des pièces récapitulatives qui permettent de lever les doutes. On présente ici, à la suite du nom de chacun (admis ou refusé) un certain nombre d'indications, chaque fois du moins qu'il est possible d'en faire état. Ont été retenues comme pertinentes : le diocèse et la ville d'origine, les grades acquis en théologie et le statut clérical. Est également mentionnée l'obtention par le candidat d'un premier succès à un concours d'agrégation.
Bibliographie
Sur l'agrégation de l'Université de Paris sous l'Ancien Régime, on peut consulter les travaux de Dominique Julia :
- "Les professeurs, l'Eglise et l'Etat après l'expulsion des Jésuites", Historical Reflections, 1980, 7, n° 2-3, pp. 459-481
- "La naissance du corps professoral", Actes de la recherche en sciences sociales, n° 39, septembre 1981, pp. 71-86
- "Une réforme impossible : le changement de cursus dans la France du 18e siècle", Actes de la recherche en sciences sociales, n° 47-48, juin 1983, pp. 53-74
Voir également une brève synthèse dans André Chervel, Histoire de l'agrégation. Contribution à l'histoire de la culture scolaire, Paris, INRP, éditions Kimé, 1993 (Chapitre premier)
Pour citer cette ressource : André Chervel, Marie-Madeleine Compère, «Les candidats aux trois concours pour l'agrégation de l'Université de Paris (1766-1791)», juin 2002 [en ligne] http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=agregar (consulté le 21 Novembre 2024)
Auteurs : André Chervel, Marie-Madeleine Compère
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