LE COURS MAGISTRAL : MODALITÉS ET USAGES (XVIe-XXe siècles)

Dernière mise à jour 11 juillet 2005

 

Un extrait du cours de Geffroy, professeur de philosophie de d'Alembert

par Alain Firode et Marie-Madeleine Compère

 

 

Metaphysica : II, Theologia, Cap. 1, p. 16

Quatrième proposition 1

 

L’idée de dieu ne peut être produite en nous que par dieu seul 2. Car l’idée de dieu ne peut être produite en nous que par cette cause qui peut affecter notre esprit de la même manière que dieu l’affecterait s’il se présentait à la vue de notre esprit.

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En effet, pour que notre esprit conçoive un objet quelconque, il doit comporter la modification par laquelle il serait affecté si cet objet agissait sur lui et se manifestait à lui. Or seul dieu peut affecter notre esprit de la façon dont il serait affecté si dieu agissait sur lui et se manifestait à lui. En effet, aucune chose créée par dieu n’est assez puissante pour pouvoir remplacer l’action d’un être souverainement parfait et jouer son rôle. Par conséquent, l’idée de dieu qui est en nous ne peut être produite que par dieu 3.

Et en vérité 4, l’idée de dieu ne peut être produite que par cette cause qui a toutes les perfections que représente l’idée de dieu. Mais seul dieu possède les perfections que représente l’idée de dieu. Ces perfections, en effet, sont l’éternité, la science infinie, l’immuabilité, l’indépendance, l’omnipotence, le pouvoir de créer, de conserver et de gouverner, l’immensité absolue des perfections, la simplicité, l’unité qui embrasse tous les autres attributs etc. Or seul dieu est éternel, immuable, indépendant, omniscient, souverainement puissant, créateur etc. Donc seul dieu peut produire l’idée que nous avons de lui.

On objectera 5 en premier lieu que cette preuve suppose que les perfections qui sont objectivement dans l’idée, c’est-à-dire qui sont représentées par l’idée, sont contenues formellement ou éminemment dans sa cause.

Metaphysica : II, Theologia, Cap. 1, p. 18

Or les perfections qui sont représentées par une idée quelconque ne doivent pas être formellement ou éminemment dans sa cause. Donc la preuve alléguée n’est pas valable 6.

Je nie la mineure 7. Le néant, en effet, n’a aucun pouvoir. Or la cause se comporte comme un néant par rapport à la perfection dont elle est privée. Donc la cause ne peut avoir le pouvoir de représenter des perfections qu’elle ne contient pas. Par conséquent, la cause efficiente des représentations des perfections doit contenir celles-ci formellement ou éminemment 8.

Et, effectivement, les perfections qui sont représentées par l’idée doivent être contenues soit formellement ou éminemment, soit seulement de façon représentative, dans la cause première et totale de cette idée. Or les perfections que représente l’idée de dieu ne peuvent être contenues seulement de façon représentative dans la cause première et totale de cette idée. En effet, si cette cause représente seulement ces perfections d’où tiendra-t-elle le pouvoir de les représenter ? Ou bien elle recevra ce pouvoir de quelque chose d’autre ou bien elle le possèdera par elle-même. Si elle le reçoit de quelque chose d’autre, elle ne sera pas la cause première de cette idée, ce qui va contre l’hypothèse. Et il faut en outre chercher si la cause qui lui a donné ce pouvoir contient ces perfections formellement ou éminemment. Elle ne peut se donner à elle-même la représentation de leurs perfections

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si elle ne les contient en aucune façon, vu qu’il n’y a aucun pouvoir du néant et que la cause se comporte comme un néant par rapport aux perfections dont elle est privée. Par conséquent, la cause première de l’idée ne peut posséder de façon seulement représentative les perfections représentées par l’idée. Donc elle doit contenir celles-ci formellement ou éminemment. Par conséquent, la cause première et totale de l’idée de dieu doit contenir formellement ou éminemment toutes les perfections que représente l’idée de dieu. Seul dieu les possède. Donc seul dieu peut être la cause première et totale de l’idée de dieu.

On dira que l’idée est seulement une dénomination externe. L’idée de dieu ne demande donc pas une cause infinie 9.

Je distingue l’antécédent. Je le concède si on considère l’idée par rapport à l’objet posé en dehors de l’esprit qui perçoit. Mais je nie l’antécédent et la conséquence si on la considère par rapport à l’esprit qui la conçoit. L’idée peut être envisagée soit par rapport à l’objet posé en dehors de l’esprit soit par rapport à l’esprit qui la conçoit 10. L’idée envisagée par rapport à l’objet posé en dehors de l’esprit percevant est seulement une dénomination externe qui n’implique aucun changement en lui. Ainsi, quand je conçois le soleil, il ne se produit aucun changement en lui. Mais l’idée est intérieure à l’esprit qui perçoit

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et elle l’affecte différemment en fonction des divers objets qu’elle représente. Ainsi mon esprit, lorsqu’il conçoit dieu, n’est pas affecté de la même façon que quand il perçoit le soleil 11. C’est pourquoi la cause de l’idée doit être d’autant plus parfaite que l’idée représente des perfections plus nombreuses et plus élevées. C’est ce qui fait que si quelqu’un a inventé une machine fort pleine d’artifice, nous concluons aussitôt qu’il est doué d’une grande capacité d’invention ou qu’il est expert en mécanique 12.

On objectera, en second lieu, que si notre esprit peut se donner à lui même l’idée d’une science infinie, il peut se donner à lui-même l’idée de dieu. Or notre esprit peut se donner à lui même l’idée d’une science infinie et donc aussi l’idée de dieu 13.

En premier lieu, je nie la majeure. Même en admettant que notre esprit puisse se donner à lui même l’idée d’une science infinie et des autres attributs de dieu dont il reconnaît des traces en lui ou dans les autres choses créées, il ne pourrait se donner à lui-même l’idée des autres perfections de dieu dont il ne trouve pas de trace en lui-même ou dans les autres choses créées. Telles sont l’immensité absolue des perfections la simplicité,

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l’unité renfermant les autres attributs, l’éternité, l’immuabilité, l’indépendance, la force de créer et de conserver et d’autres de ce genre dont il n’y a pas vraiment d’exemples et qui, pour cette raison, sont dites être des attributs incommunicables de dieu et sa propriété à lui seul.

En second lieu, je nie la mineure. Car notre esprit ne peut produire un effet qu’il ne contienne ni éminemment ni formellement. Sinon, le néant pourrait être cause d’une certaine perfection. Or notre esprit ne contient ni formellement in éminemment la science infinie. Il ne peut donc former l’idée d’une science infinie.

On insistera 14 en disant qu’à partir de la notion d’étendue finie l’esprit peut former l’idée d’une étendue infinie. Donc à partir de l’idée de sa science finie, il peut se donner à lui-même l’idée d’une science infinie.

En premier lieu, je nie l’antécédent 15. L’idée d’une étendue finie suppose l’idée d’une étendue infinie. On conçoit en effet l’étendue finie en tant qu’on conçoit une certaine partie de l’étendue au-delà de laquelle se trouve une autre partie ou tout au moins au delà de laquelle une autre partie peut exister. Donc l’idée d’une étendue finie présuppose la perception

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d’une étendue plus grande qui, si elle est finie, pourra susciter le même problème, et ce jusqu’à ce qu’on en arrive à une étendue infinie 16.

Et de fait, on ne conçoit la négation que par la forme dont elle est la négation. Or la limitation de l’étendue est la simple négation d’une perfection située au-delà et plus grande. D’où l’on conclut que l’étendue finie est contenue dans des limites fixées et qu’elle ne s’étend pas au-delà. Donc l’étendue finie ne peut être comprise si ce n’est par l’étendue infinie.

En second lieu, je nie la conséquence car l’étendue infinie peut être conçue comme étant formée d’un nombre incalculable d’étendues finies. Or la science infinie, qui est simple, ne peut être composée de plusieurs sciences finies rassemblées ensemble.

On objectera, en troisième lieu, que les idées des perfections que renferme l’idée de dieu peuvent provenir de diverses causes de telle sorte que l’idée de la toute puissance viendrait de l’une, l’idée d’une science infinie d’une autre et ainsi de suite des autres perfections de dieu. Par conséquent, il est possible que l’idée de dieu ne provienne pas d’un seul être très parfait 17.

Je nie l’antécédent car les perfections qui sont contenues dans l’idée de dieu, sont à ce point jointes ensemble

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que l’une ne peut exister sans les autres. La cause de cette idée doit donc faire que je conçoive toutes ces perfections comme étant jointes ensemble et indivisibles. Or elle ne peut faire que je conçoive ces perfections comme étant jointes ensemble et inséparables à moins de me les faire connaître toutes ensemble, c’est-à-dire sans m’en donner leurs idées. Par conséquent, les idées de ces perfections ne peuvent provenir de différentes causes.

Et effectivement, la cause qui donne l’idée d’omnipotence doit être omnipotente. Or elle ne peut être omnipotente à moins qu’elle n’ait aussi les autres perfections. En effet, si certaines lui faisaient défaut, elle se les donnerait. Donc l’être qui nous donne l’idée d’omnipotence doit être souverainement parfait 18.

On objectera, en quatrième lieu, que l’idée de dieu provient des opinions que l’âme a déjà eues, des livres, du commerce des amis, des parents, des maîtres, des idées dominantes ou encore de la crainte, les hommes terrifiés par le vacarme du tonnerre et l’action de la foudre ayant imaginé qu’un tel fracas ne pouvait être produit que par quelque divinité. Ainsi Pétrone a-t-il dit que « c’est la crainte avant toute chose qui a fait les dieux dans l’univers ». Par conséquent, l’idée de dieu ne provient pas de dieu. 19

 

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Notes :

1 Les thèses exposées par Gefffoy sont presque toujours introduites sous forme de propositions démontrées au moyen de syllogismes. Le contenu du cours, d’une manière générale, fait l’objet d’une présentation très rigide et codifiée, rigoureusement conforme, comme le montre la suite de l’extrait, aux usages des traités scolastiques.

 

2 La proposition présentée dans cet extrait se situe dans le chapitre 1 de la théologie naturelle (cap. I : An et qualis sit in nobis dei cognitio - s’il y a en nous une connaissance de dieu et quelle est sa nature -). Geffroy vient d’établir, dans les propositions précédentes, qu’ « il y a en nous une idée de dieu » (prop. 1), que celle-ci « est claire et distincte » (prop. 2) quoique « ni parfaite ni compréhensive » (prop. 3). La démarche est clairement cartésienne. Il s’agit, comme dans la troisième Méditation, de parvenir à prouver l’existence de dieu en remontant de l’idée de dieu qui est en nous à sa cause, laquelle ne peut être que dieu lui-même.
Les références à Descartes (implicites et explicites) se rencontrent dans l’ensemble du cours, aussi bien dans ses parties proprement philosophiques (Geffroy adopte, entre autre, la méthode du doute méthodique, le critère de l’évidence et la théorie des idées innées) que scientifiques (la physique exposée dans la troisième partie du cours se borne, la plupart du temps, à reprendre les thèses tourbillonnaires des Principes de la philosophie). Il importe de souligner, toutefois, que cette inspiration globalement cartésienne n’exclut nullement la présence d’éléments hérités de la tradition thomiste et scolastique. On remarquera ainsi, pour s’en tenir à la question de l’existence de dieu, que les diverses preuves exposées dans le cours de théologie ne se limitent pas, comme on aurait pu s’y attendre, aux trois démonstrations des Méditations (les deux preuves a posteriori de la troisième méditation et la preuve a priori de la cinquième). Elles font encore intervenir les arguments thomistes classiques qui tirent l’existence de dieu de la contingence du monde et de la nécessité d’un premier moteur ou encore l’argument traditionnel par la finalité. Le cours, en dépit du rôle privilégié qu’y joue la pensée cartésienne, se présente le plus souvent comme un édifice composite dont la cohérence philosophique profonde, sous un habillage formel extérieurement très rigoureux, s’avère fréquemment flottante.

 

3 La démonstration de la proposition 4 repose sur un argument cartésien bien connu, exposé à la fois dans la troisième Méditation et dans l’article 18 de la première partie des Principes : « De même parce que nous trouvons en nous l’idée d’un dieu, ou d’un être tout parfait, nous pouvons rechercher la cause qui fait que cette idée est en nous ; mais, après avoir considéré avec attention combien sont immenses les perfections qu’elle nous représente, nous sommes contraints d’avouer que nous ne saurions la tenir que d’un être très parfait… » (Descartes, Œuvres et lettres, Gallimard, bibliothèque de la pléiade, 1953, p. 579). La présentation qu’en donne Geffroy est quelque peu différente, par les termes utilisés et la forme syllogistique, mais le principe de la preuve est rigoureusement identique.

 

4 La démonstration d’une proposition est très fréquemment suivie, dans l’ensemble du cours, d’un paragraphe (introduit par une formule du type et vero, et sane ou et certo…) dont la fonction est de reprendre l’argument de la preuve en l’explicitant. La suite du passage en donne de nombreux exemples.

 

5 Après avoir été démontrée et explicitée, la proposition est soumise à longue suite d’objections systématiquement introduites par la formule en usage dans l’Ecole : « Objicies ». L’exposé ne procède donc pas déductivement, à la façon d’un traité présenté more geometrico, mais selon le jeu des objections et contre objections de la disputatio scolastique.

 

6 L’argument conteste la nécessité, pour la cause du contenu représentatif de l’idée, de contenir formellement (c’est-à-dire réellement et non simplement sous forme de représentation) les perfections représentées dans l’idée. Dans la troisième Méditation, cette objection contre la première preuve de l’existence de dieu est envisagée par Descartes lui-même, qui la repousse aussitôt : « Je ne dois pas aussi douter qu’il ne soit nécessaire que la réalité soit formellement dans les causes de mes idées, quoique la réalité que je considère soit seulement objective, ni penser qu’il suffit que cette réalité se rencontre objectivement dans leurs causes » (op. cit., p. 291). Bien qu’elle ne suive pas rigoureusement le cours des idées cartésiennes, toute la discussion de la quatrième proposition est manifestement inspirée par l’argumentation de la troisième méditation.

 

7 Les réponses aux objections, conformément aux usages scolastiques, indiquent toujours l’élément du syllogisme (majeure, mineure ou conclusion) sur lequel porte la réfutation. Celle-ci peut prendre la forme d’une simple négation (nego majorem, minorem, consequentiam) ou d’un distinguo (distinguo majorem etc.).

 

8 Comme chez Descartes, l’impossibilité qu’un effet tire son origine du néant fonde la nécessité, pour la cause de l’idée, de contenir réellement (formellement ou éminemment) les perfections seulement représentées par l’idée : « afin qu’une idée contienne une telle réalité objective plutôt qu’une autre, elle doit sans doute avoir cela de quelque cause, dans laquelle il se rencontre au moins autant de réalité formelle que cette idée contient de réalité objective. Car si nous supposons qu’il se trouve quelque chose dans l’idée, qui ne se rencontre pas dans sa cause, il faut donc qu’elle tienne cela du néant » (op. cit., p. 290).

 

9 Cette objection est identique à celle que Caterus oppose à Descartes dans les premières objections aux Méditations. Celle-ci repose sur une divergence profonde entre la conception aristotélicienne et thomiste de l’idée qu’adopte Caterus et sa conception cartésienne. Pour Descartes, une idée se distingue en effet d’une autre par un contenu représentatif réel (sa « réalité objective ») qui requiert en tant que tel une cause efficiente. Pour Caterus, au contraire, l’idée n’étant qu’un reflet de la chose dans la pensée, son contenu représentatif n’est en aucune façon assimilable à une réalité nécessitant une cause spécifique : « être objectivement dans l’entendement, c’est terminer à la façon d’un objet l’acte de l’entendement, ce qui n’est qu’une dénomination extérieure, et qui n’ajoute rien de réel à la chose… pourquoi donc cherché-je la cause d’une chose, qui actuellement n’est point, qui n’est qu’une simple dénomination et un pur néant » ? (op. cit., p. 336).

 

10 Geffroy reprend la distinction entre l’idée considérée par rapport à la chose et l’idée considérée par rapport à l’entendement que Descartes oppose à Caterus dans les réponses aux premières objections : « Etre, dit-il, objectivement dans l’entendement, c’est terminer à la façon d’un objet l’acte de l’entendement, ce qui n’est qu’une dénomination extérieure et qui n’ajoute rien de réel à la chose etc. Où il faut remarquer qu’il a égard à la chose même, comme étant hors de l’entendement, au respect de laquelle c’est de vrai une dénomination extérieure, qu’elle soit objectivement dans l’entendement ; mais que je parle de l’idée, qui n’est jamais hors de l’entendement, et au respect de laquelle être objectivement ne signifie autre chose, qu’être dans l’entendement en la manière que les objets ont coutume d’y être » (op. cit., p. 344). Ainsi, quoique la réalité objective de l’idée n’ait pas d’existence en soi, hors de l’entendement, elle n’est cependant pas un pur rien et requiert donc une cause réelle qui contienne les perfections représentées par l’idée.

 

11 L’exemple du soleil est directement pris de Descartes : « ainsi par exemple, si quelqu’un demande qu’est-ce qu’il arrive au soleil de ce qu’il est objectivement dans mon entendement, on répond fort bien qu’il ne lui arrive rien qu’une dénomination extérieure… » » (op. cit., p. 344).

 

12 Autre exemple emprunté à Descartes : « ainsi si quelqu’un a dans l’esprit l’idée de quelque machine fort artificielle, on peut avec raison demander quelle est la cause de cette idée… et il faut remarquer que tout l’artifice qui n’est qu’objectivement dans cette idée doit être formellement ou éminemment dans sa cause, quelle que cette cause puisse être… Et de vrai on peut assigner diverses causes de cet artifice ; car ou c’est une réelle et semblable machine qu’on aura vue auparavant, à la ressemblance de laquelle cette idée a été formée, ou une grande connaissance de la mécanique qui est dans l’entendement, ou peut-être une grande subtilité d’esprit… » (op. cit., p. 345-346). Il ne fait pas de doute que Geffroy s’inspire ici directement du texte des premières réponses.

 

13 La possibilité que l’esprit se donne à lui-même l’idée d’une substance infinie fait partie des objections que Descartes s’oppose à lui-même dans le cours de la troisième Méditation : « j’expérimente que ma connaissance s’augmente et se perfectionne peu à peu, et je ne vois rien qui la puisse empêcher de s’augmenter de plus en plus jusques à l’infini » (op. cit., p. 294). Cependant, dans les Méditations, il ne s’agit pas, comme dans ce passage du cours, de savoir si la puissance de former les idées particulières de science infinie ou d’étendue infinie implique la possibilité de former celle d’un être infini, mais, de façon plus générale, de savoir si l’esprit fini peut construire l’idée d’infini à partir de la considération des perfections finies. Une fois de plus, Geffroy reprend le principe de l’argumentation cartésienne de la troisième Méditation sans en suivre strictement le détail.

 

14Instabis : il s’agit donc, selon le vocabulaire de l’Ecole, d’une « instance », c’est-à-dire d’une objection dirigée contre la réponse faite à l’objection principale. Chaque réponse à l’objection principale peut ainsi faire l’objet de plusieurs instances.

 

15 La négation, ici, ne porte pas sur la majeure car l’objection n’est pas présentée sous forme d’un syllogisme complet mais d’un simple enthymème, seulement constitué d’un antécédent et d’une conclusion.

 

16 Sans reprendre explicitement un développement des Méditations ou des Principes, l’argument repose néanmoins sur la conception cartésienne de la relation du fini et de l’infini. Selon Descartes, l’infini rigoureusement pensé n’est pas la négation du fini et c’est au contraire l’idée du fini qui suppose, comme sa limitation, celle de l’infini : « et je ne me dois pas imaginer que je ne conçois pas l’infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière » (op. cit., p. 294). Ainsi, l’idée d’infini ne peut-elle être construite à partir de la considération des choses finies.

 

17 L’objection qui fait état d’une multiplicité possible de causes est visiblement prise de la troisième Méditation : « on ne peut pas feindre aussi que peut-être plusieurs causes ont ensemble concouru en partie à ma production et que de l’une j’ai reçu l’idée d’une des perfections que j’attribue à dieu, et d’une autre l’idée de quelque autre, en sorte que toutes ces perfections se trouvent bien à la vérité quelque part dans l’univers, mais ne se rencontrent pas toutes jointes et assemblées dans une seule qui soit dieu », » (op. cit., p. 299).

 

18 La réponse de Geffroy ne diffère pas de celle de Descartes, si ce n’est que dans la troisième Méditation la propriété divine qui suppose nécessairement toutes les autres perfections est la simplicité et non, comme chez Geffroy, l’omnipotence (cf. op. cit., p. 299).

 

19 C’est, pratiquement au mot près, l’argument d’Arnauld dans les secondes objections aux Méditations : « Et ne peut-on pas dire que vous l’avez (l’idée de dieu) puisée des pensées que vous avez eues auparavant, des enseignements des livres, des discours et entretiens de vos amis, etc., et non pas de votre esprit seul, ou d’un souverain être existant ? » (op. cit., p. 363). Geffroy y ajoute néanmoins l’objection épicurienne classique de la crainte comme origine de l’idée de dieu.
Cette objection est la dernière que Geffroy oppose à la quatrième proposition. La réponse, trop longue pour être reproduite ici en détail, a pour principal argument que les prétendues causes alléguées par l’objection ne sont en fait que de simples occasions de penser à dieu et non la cause réelle, efficiente, de l’idée de dieu. Ce recours à la notion de cause occasionnelle, limité ici à l’idée de dieu, sera étendu dans la suite du cours (cf. pneumatologie, cap. V, art. 3) à la question de l’origine de toutes les idées ainsi qu’au problème de l’interaction physique des corps (cf. physique I, cap. VIII, art. 3). Geffroy adopte ainsi une lecture clairement occasionaliste de Descartes, plus proche au demeurant de celle de Cordemoy ou de La Forge que de celle de Malebranche (il refuse résolument les idées malebranchiennes d’étendue intelligible et de vision en dieu, cf. pneumatologie, cap. V, art. 2). La preuve de l’existence de dieu qui remonte de l’idée de dieu à son origine perd du même coup la place privilégiée qu’elle possède chez Descartes. L’idée de dieu, en effet, n’est pas la seule idée à requérir comme cause réelle dieu lui-même : c’est le cas de toutes les idées et, comme le reconnaît Geffroy lui-même, on peut tirer de n’importe quelle pensée une preuve irréfutable de l’existence de dieu (« in pneumatologia probabimus nostras omnes ideas a deo produci. Unde potest colligi nullam esse in nobis ideam quae non probet eum existere », theologia, p. 41-42). Pourquoi, dans ce cas, s’être attardé à exposer en détail la preuve cartésienne, sans aller directement à l’argument occasionaliste ? C’est que le principal souci de Geffroy est manifestement d’accumuler le plus grand nombre de preuves possibles, quitte à ne pas se montrer trop regardant sur la cohérence philosophique profonde de l’exposé. A cet égard, les passages du cours consacrés à la question de l’existence de dieu, où se côtoient des démonstrations d’inspiration aussi diverses et parfois divergentes que les preuves cartésiennes, occasionalistes, thomistes ou finalistes, sont parmi les plus révélateurs du caractère globalement syncrétique de l’enseignement dispensé par Geffroy au collège Mazarin.